Art et Sciences

 

La perspective, ou la rencontre de la peinture et des mathématiques

                                                               Par Remi Rhodes, Lea Blanc-centi, Jonathan Bennaim, Anne Carrols

                                        

                                             

 

 

Introduction :

 Il est une période majeure dans l’histoire de l’art, qui bouleversa le dessin de son époque et continue encore d’imposer à celui d’aujourd’hui la plupart de ses dogmes : la Renaissance.

En effet, dès la fin du quatorzième siècle et plus encore durant le quattrocento (XVe siècle italien) une révolution culturelle concernant les beaux-arts mais aussi les sciences et de façon plus générale encore la perception du monde et de l’individu, vient ébranler les structures médiévales dans l’optique d’une rénovation des arts et d’un épanouissement de l’esprit humaniste.

 S’appuyant sur l’héritage gréco-latin qui prône l’intelligence et l’individualité du héros et allant même jusqu’à célébrer la sensualité païenne, l’expression de l’époque va à contre courant de la tradition catholique. L’église demeure pourtant le principal client des artistes, mais l’atténuation du clivage art et techniques leur offre subitement toute une gamme d’outils théoriques, qui en rationalisant des considérations jusque là empiriques, donnent naissance à une eurythmie mathématique dont la référence majeure est le nombre d’or.

 Dès lors, l’œuvre se structure et s’organise selon certains canons et critères d’harmonie inspirés de l’Antiquité, ainsi que selon certaines règles, notamment la perspective, qui cherchent à rendre compte de la réalité.

 Le bouleversement qui s’opère alors est à la base d’un nouvel académisme basé sur un mode de représentation réaliste dont nous subissons aujourd’hui encore, l’ascendant.

 Historique :

 C’est aux deux philosophes grecs Démocrite (460-370 avant JC) et Anaxagore (500-428 avant JC) que nous devons les premières références écrites sur l’art de la perspective : «  une fois déterminé un point central, les lignes doivent coïncider au point de projection des rayons visuels, comme elles le font dans la nature, de telle sorte que certaines parties vont reculer vers le fond tandis que d’autres sortent vers l’avant. »

Jusque là et à quelque époque que ce soit les artistes semblaient ignorer la perspective. Les sujets représentés l’étaient toujours de profil et parfois même avec un réalisme prodigieux, cependant, à chaque fois, ces représentations niaient soigneusement la perspective et le raccourci (terme qui désigne la réduction que subit une figure vue en perspective). Ainsi les représentations admirables de l’art égyptien sont aussi les plus emblématiques de l’absence de troisième dimension dans la peinture.

                                                

Deux siècles plus tard, le mathématicien grec Euclide (IIIe siècle avant JC), célèbre pour sa géométrie, définit une théorie de l’optique établissant que notre image visuelle est constituée de lignes droites partant de l’œil et divergeant pour former un cône. Fort de ces deux théories, grecs et romains font alors de la perspective une application intuitive.

  

Ce n’est qu’après une longue période d’obscurantisme moyenâgeux de près de mille ans que seront à nouveau développées les méthodes de représentation telles que la perspective.

  Ainsi, au XIVe siècle, le peintre italien Giotto rompt pour la première fois avec le style hiératique qui caractérise la peinture de l’époque encore tout emprunte de tradition byzantine. Il atténue l’effet de spiritualisation des visages, introduit la perspective et l’aspect tridimensionnel qu’il renforce par des jeux de lumières. En fait, ce premier pas vers une humanisation du sujet en peinture, témoigne déjà de ce que sera la renaissance des arts au siècle suivant. Les trois principaux instigateurs de ce renouveau seront les florentins Brunelleschi (architecte 1377-1446), Donatello (sculpteur 1386-1466) et Masaccio (peintre 1401-1428). Le premier, Filippo Brunelleschi est considéré comme l’inventeur de la perspective. En effet, alors qu’il travaillait à la construction de la coupole de la cathédrale de Florence, il inventa un système lui permettant d’en réaliser une vue en perspective à partir de la vue en plan et de l’élévation de celle-ci.

 

C’est durant cette période que Léon Battista Alberti (http://www.sbpm.be/textes/helice.pdf), digne successeur de Brunelleschi, écrit à 32 ans le premier traité de perspective « De la peinture » qu’il dédie à son maître Brunelleschi. Cet ouvrage destiné aux dessinateurs et aux peintres explique dans un premier temps que l’artiste doit regarder le tableau  au travers d’un voile imaginaire de telle sorte que les rayons lumineux, allant du modèle à l’œil du spectateur, dessinent ce modèle en traversant ce voile. Il décrit également une formule permettant de calculer automatiquement « la distance entre des formes se répétant en profondeur » (dallages, colonnes,…).

 

Vers le milieu du XVe siècle, les nombreuses démonstrations de réalisme que confère la perspective aux productions de la première Renaissance (Brunelleschi, Masaccio, Alberti entre autres), génèrent auprès des autres artistes un engouement pour cette discipline. Le peintre Piero Della Francesca, dans « De Prospectiva Pingendi », recense et résout de façon très méthodique une série de problèmes de perspective. Après quelques constructions élémentaires permettant d’introduire l’idée de taille apparente d’un objet (c’est-à-dire l’angle sous lequel il est vu), il s’intéresse à la représentation d’un carré situé en contrebas de l’observateur. Que doit réellement dessiner le peintre ? Pour répondre à cette question, Piero Della Francesca développe un système de projection efficace et original, s’appuyant sur les Eléments d’Euclide.

 

Le grand Léonard de Vinci, peintre, dessinateur, sculpteur, architecte, ingénieur, savant et inventeur italien, réalise en 1651 un « traité de la peinture » où il définit la perspective comme « la vision d’un corps qui se trouve derrière un verre transparent que lequel il se reflète ». Il pressent déjà la perspective à deux points de fuite et découvre le sfumato (du mot italien fumo, qui signifie fumée, sfumato décrit un mélange de tonalités et de couleurs si subtiles qu’elles se fondent les unes dans les autres pour produire un effet de brumes, comme l’explique Léonard de Vinci, « sans ligne ni bord, à la manière de la fumée ») qui, en favorisant les effets de clair obscur et les transitions de couleurs le conduit tout naturellement à découvrir la perspective rendue par les effets atmosphériques.

 

                    

               

En Europe du Nord, c’est l’allemand Albrecht Dürer, peintre, dessinateur et théoricien de l’art, qui introduit la perspective. On retrouve en fait dans son œuvre l’influence de la Renaissance italienne qu’il côtoie au cours de deux voyages qu’il effectue en Italie. Son étude de la peinture italienne le conduit à une intellectualisation croissante de son travail notamment en ce qui concerne la proportionnalité. Il est ainsi à l’origine d’un traité de perspective et de géométrie et de quatre livres sur les proportions du corps humain.

Parallèlement, en 1505, un chanoine de la cathédrale de Toul, Jean Pèlerin, alias Viator (le voyageur), secrétaire du roi Louis XI, publia en latin et en français « De artificialis perspectiva », où apparaissent pour la première fois la ligne d’horizon, le point de fuite central et les deux points de fuite des diagonales. Sa méthode était très proche de notre perspective oblique à deux points de fuite, à ceci près que Pèlerin situait l’édifice au centre et les points des diagonales symétriquement de part et d’autre. Au moment où Pèlerin propose l’utilisation des points de diagonales commence alors à se développer en Europe la scénographie théâtrale qui apparaît dans les fêtes de la cour. Conséquence de cet art illusioniste par excellence, les artistes de la quadratura font leur apparition. Ce terme désigne les exécutants de grandes peintures murales peintes à partir de projets quadrillés. C’est en utilisant la méthode du carreau ou celle des « tiers points » de Pèlerin, que l’univers des décors de théâtre révèlera à bon nombre d’artistes ces techniques de perspectives.

 

Un siècle plus tard en 1604, le peintre, architecte et théoricien allemand Hans Vredeman de Vries publiait « Perspective, l’art le plus célébré ». Cet ouvrage très apprécié des artistes de l’Europe du Nord jouera un rôle capital dans l’évolution du style Flamand. Rembrandt lui-même, lorsqu’il peignit son tableau  « philosophe en méditation » s’inspira fortement de l’une des planches dessinées par de Vries.

                                                                      

   Hans Vredeman de Vries, Planche de perspective                                 Rembrandt, Philosophe en méditation

       

Enfin, dans la première moitié du XVIIIe siècle, le Bolonais Ferdinando Galli Bibiena introduisit en scénographie la veduta ad angolo, la vue en angle, dépassant ainsi les contraintes imposées par un seul point de fuite.

 Après que le mathématicien français Gaspard Monge (http://www.sbpm.be/textes/helice.pdf)  eut créé au XVIIIe siècle la géométrie descriptive qui a définitivement établit la théorie de la perspective (pour une approche mathématique rigoureuse de la géométrie descriptive, on pourra consulter l’article de R. Langevin sur http://www.dma.ens.fr/culturemath/maths/pdf/geometrie/monge.pdf), on peut considérer qu’il n’y avait plus grand-chose à découvrir. Cependant, il est encore un élément qui au XIXe siècle influencera cette discipline, c’est la photographie ou plutôt son ancêtre, le daguerréotype. En effet, le principe mis au point par le français Louis Daguerre va profondément bouleverser le monde de l’art. Tous les artistes importants du début du XIXe siècle (Dega, Manet, Monet, Cézanne, Pissaro,…) découvriront dans la photographie un moyen d’améliorer la construction et la composition. Mais ce que la photographie a surtout permis à l’artiste, c’est de voir et de comprendre définitivement la perspective, parfois pour mieux la servir , parfois pour mieux l’ignorer. L’ensemble des théories d’ailleurs si chères aux humanistes de la Renaissance est perçu dès lors comme une entrave à la créativité. La perspective va ainsi connaître dans les décennies suivantes des fortunes diverses.

                

                                                           

              Au début du XXe siècle, l’art se tourne vers une conception intellectuelle de la forme et de la couleur. Dès lors, le tableau ne décrit plus seulement une réalité matérielle et visuelle, mais aussi émotionnelle par le biais d’une construction purement plastique. En jouant sur la couleur qu’il module par de petites touches et dont il utilise les nuances et les contrastes, Cézanne définit à l’époque un univers pictural où la forme est subordonnée à la couleur. Ses compositions caractérisées par des décalages de perspectives et d’éclairages annoncent déjà les prémisses de mouvement tels que le Cubisme, le Fauvisme, ou le Futurisme…qui finiront de libérer la peinture d’un académisme pesant.

 Le cubisme fait son apparition avec Braque et Picasso. Il malmène les conventions classiques de la représentation et notamment de la perspective. Refusant le point de vue unique et centré, cette peinture opère une densification de l’espace qui obstrue les vides de la toile et laisse plus encore aux formes qu’aux valeurs (gradation des tons, des effets d’ombre et de lumière sur les objets représentés par le peintre, et donnant au tableau sa profondeur, son atmosphère. L’impressionnisme est un mouvement qui accordait beaucoup d’importance à la finesse des valeurs) le soin de structurer l’œuvre.

 Outre bien sûr la peinture figurative, seul le surréalisme emploie encore parfois la perspective pour définir des lieux énigmatiques où se jouent des compositions troublantes, censées évoquer les arcanes de la pensée et du subconscient. Des architectures monumentales de style très souvent antique viennent ainsi ajouter leur démesure à des scènes déjà pleines d’emphase.

 Bien sûr aujourd’hui encore, la perspective fait partie du paysage artistique, à la seule différence qu’elle n’est plus qu’un simple outil, qu’une technique mise à la disposition de l’artiste, du graphiste ou du concepteur, et non plus une contrainte ou une sujétion comme elle le fut par le passé.

 La Technique :

 

Il ne s’agit pas ici d’un cours magistral mais d’un rapide exposé des techniques utilisées en géométrie descriptive ou perspective.

 La première étape consiste à définir les éléments indiqués dans le schéma ci-après :

 

  

Ensuite, il s’agit de respecter les quelques

 

Cube à la perspective exagérée.

On voit ici deux points de fuites sur l'horizon. Les parallèles convergent toutes vers le même point.

  

Les mesures.

Des mesures peuvent être prises pour toutes les lignes verticales ou horizontales, par rapport à la hauteur de l'horizon.

Ici l'horizon est à 1,8m de hauteur. Donc tous les éléments posés au sol qui touchent l'horizon mesurent 1,8 m. Le piquet de gauche, qui est aussi grand au dessus qu'en dessous de l'horizon mesure donc 3,6 mètres. Par rapport au piquet de droite, nous pouvons aussi déterminer la largeur de la route, approximativement 2m50. Les deux lignes rouges horizontales figurent toutes les deux 2m50.

 

Les ombres

Les ombres ont même point de fuite que l'objet qui les projette. Pour déterminer les ombres, il faut tracer une ligne entre la surface sur laquelle se projette l'ombre et le soleil.

L'iilustration ci dessus suppose un soleil situé à 45 degrés, et à gauche de l'image. On détermine les points de projection de l'ombre au sol avec des lignes de 45 °. Voir ci dessous dans le cas ou le soleil est visible sur le dessin.

 

Les Reflets

Les reflets apparaissent compliqués à première vue, mais finalement, il n'en est rien. Une erreur fréquente est de considérer que le reflet est l'image de l'original en sens inverse. En fait, il suffit de tracer une ligne verticale entre le point que l'on veut projeter et la surface de l'eau. On trace alors un trait de même longueur sous la surface de l'eau.

On a AB = BC. Par extension on peut calculer les reflets par rapport à des miroirs. La, la ligne n'est pas verticale, mais perpendiculaire au miroir.

 

Exemple : construire une clôture

Supposons que l’on veuille dessiner une clôture dont les poteaux, de même taille, sont tous situés à même distance les uns des autres. Il suffit de poser les deux premiers puis de procéder comme suit

 

Pour déterminer la position du troisième poteau, on trace une ligne passant par le sommet du premier (A) et le milieu du deuxième (N). On en déduit la position de (F). On remonte à la verticale et on en déduit le poteau. On observera aussi comment l’ombre des poteaux est construite. Ces ombres sont déterminées par rapport à l’intersection entre la ligne passant entre le sommet du poteau et le soleil et la ligne passant par (O) et le bas poteau.

 

 

 

(lien pour Filippo Brunelleschi)

 

En 1415, l'architecte Filippo Brunelleschi peint une vue du baptistère de Florence sur un miroir (une plaque de métal poli, en réalité).

 

 

                                


                                  Photo du baptistère de Florence, XIXème siècle



 

Il perce un trou à hauteur de la porte, se place face au baptistère et le regarde à travers le trou pratiqué dans son miroir peint. La face peinte du miroir fait face au baptistère.

Il place ensuite un second miroir, plus petit, en face du miroir peint qu'il tient devant son oeil. Ce second miroir l'empêche désormais de voir le baptistère en entier.

En revanche, il reflète maintenant une partie de l'image peinte sur le premier. Brunelleschi voit donc, à ce moment, une partie du vrai baptistère ainsi qu'un reflet partiel de sa peinture.

En bougeant ce miroir et en se déplaçant, il va pouvoir déterminer un seul endroit où le reflet de sa peinture et le vrai baptistère se complètent parfaitement.


                        




Ce point, c'est celui où il s'était placé pour réaliser sa peinture selon le principe suivant :

il avait considéré que son oeil était une flèche visant un point face à lui, sur la porte du baptistère. Il traça ce point sur sa feuille, puis une une ligne horizontale passant par celui-ci : la ligne d'horizon (en bleu). Ensuite il traça, à gauche et à droite, les lignes du toit, des deux étages et du bas de la construction (en rouge). Ces lignes se rejoignirent en un point à gauche et un point à droite : les points de fuite.


                          




Brunelleschi venait de découvrir le principe fondamental de la perspective : le regard, la hauteur de l'oeil, détermine un point par lequel passe une ligne, l'horizon. Sur cette ligne sont disposés les points de fuite servant à déterminer la profondeur des objets.

  

(lien pour la représentation d’un carré)

             Un carré situé dans le plan horizontal, de côté BC, est vu d’un point A, situé en hauteur et devant le carré, au-dessus du point D.

                                                              

 

 

 Bien que le carré soit à plat, il est représenté comme s’il avait été relevé verticalement en le carré BCGF. Les droites AC et AG coupent l’arête verticale BF en les points E et H : ce sont ces points qui donneront les dimensions cherchées. BE représente la hauteur occupée par le carré sur le dessin, et EH la longueur du côté du carré sur le dessin.

 

On trace les parallèles à BC passant respectivement par A et E, et on fixe un point A’ sur la première, qui correspond à la position horizontale de l’observateur par rapport au côté BC du carré. Les droites A’B et A’C coupent la parallèle passant par E en D’ et E’ : le carré en perspective est BCE’D’.

 Il est immédiat que BCE’D’ occupe la hauteur BE sur le dessin, mais a-t-on E’D’=EH ?

  Théorème :  E’D’=EH

 

Piero Della Francesca donne la démonstr

ation suivante, mais laisse au lecteur le soin de trouver quels triangles sembables justifient chaque égalité :

  

  Par conséquent, E’D’ et EH sont égaux puisque BC=CG.

 Ce théorème est le premier nouveau théorème européen en géométrie depuis Fibonacci, et peut être considéré comme le début de la géométrie projective.

 



 

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